L’école ouverte… pour apaiser le feu (2ème partie)

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By adubuquoy@image7.fr août 14, 2024

Les freins mis aux projets

Il faut aussi chercher dans l’asymétrie maître-élèves, dans les contraintes pesant sur les enseignants compte tenu du peu d’heures dont ils disposent pour traiter leur programme des raisons et dans l’effort logistique supplémentaire que demande tout nouveau projet, des explications à la difficulté à créer au sein des établissements scolaires des espaces de projet reposant sur la participation effective des jeunes.

Il faut également prendre en compte qu’une pédagogie de projets mené avec des élèves en situation de décrochage ou à besoin éducatifs particuliers demande des compétences spécifiques de la part des enseignants avec, comme le rappelle Roland Goigoux, un guidage progressif des apprentissages au sein de situations rigoureusement construites dans ce but. Or le manque de formation des enseignants dans les établissements scolaires des QPV s’impose comme une évidence “statistique”. Ce sont dans ces quartiers avec le plus de difficultés scolaires que les enseignants sont les plus jeunes et moins expérimentés (34,4 % des enseignants ont moins de 35 ans alors qu’ils ne représentent que 23,3 % des enseignants au niveau national.)

Le manque d’implication des parents dans la conduite des projets est aussi un frein à l’engagement. Il s’explique en partie par leur perception de la complexité des échanges entre acteurs qui les empêcherait d’y prendre part.

Le tissu associatif investi dans les quartiers populaires est enfin riche de sa diversité et de son inventivité mais aussi “fragilisé depuis plusieurs années par les logiques d’appel d’offre et de mise en concurrence et par les restrictions budgétaires.”

L’empowerment

L’ouverture doit se consolider dans une perspective d’empowerment qui engage comme le rappelle le rapport Bacqué-Mechache, “une modification des rapports de force entre le groupe lui-même et d’autres groupes avec lequel il entretient une relation asymétrique : enseignants, équipe de direction, police, élus pour les habitants d’une commune etc.”

Cette ouverture exige une transformation de la pédagogie.

Martha Nussbaum soutient que “dans les démocraties pluralistes modernes et dans le contexte d’un marché mondialisé puissant, il est important de développer chez les citoyens la capacité à argumenter”. Elle cite le philosophe et pédagogue indien Rabindranath Tagore qui défend la capacité des enfants à penser par eux-mêmes en défendant leur autonomie et leur esprit critique. Et faisant de « la mise en question socratique » le centre de sa pédagogie.

Rien ne se fera sans des enseignants formés et valorisés. Rodrigue Coutouly, principal du Collège Jacques Prévert à Marseille, souligne l’enjeu essentiel de former les personnels de direction fraichement nommés sur ces territoires. Il s’agit de les conscientiser à ce qu’est l’éducation prioritaire et à ce qu’induit la pauvreté sur les comportements des élèves ou des familles, afin qu’ils ne se contentent pas d’en interpréter les manifestations par le prisme culturel ou religieux.

L’ouverture ne se fait pas d’un seul coup. Elle doit débuter de manière simple au sein même de l’établissement scolaire qui a tendance par inertie à classer et catégoriser en fonction des différences au lieu de rassembler autour de préoccupations communes. Introduire par exemple l’obligation pour les élèves des Segpa de se ranger avec les autres collégiens et d’avoir des cours dans un bâtiment commun, constitue un premier pas vers l’acquisition d’un statut de collégien bénéficiant d’enseignement adapté et l’abandon de l’étiquetage «Segpa».

La reconnaissance des compétences de tous les apprenants comme «producteurs de connaissances» devient alors une nécessité pour renforcer leur confiance et leur estime de soi quel que soit leur niveau scolaire. C’est que permettent aujourd’hui les badges numériques promus en France par Serge Ravet et l’association “Reconnaître”. Au-delà d’un diplôme, reconnaître les élèves pour leurs productions au sein d’un projet “peut jouer sur leur motivation et leur implication dans la communauté apprenante.”

Pour un modèle de projet éducatif d’ouverture dans les quartiers populaires

On voit alors l’émergence d’un modèle de projet éducatif inclusif à même d’être déployé dans (et à partir des) les établissements scolaires des QPV pour réaliser de manière durable l’ouverture de l’école.

En voici 10 éléments clés:

1- Expérience inclusive d’apprentissage

Un projet éducatif doit encourager tous les élèves à apprendre “à apprendre” et à se développer en tant qu’être humain.

2- Pédagogie participative

Un projet éducatif doit reconnaître la capacité unique de tous les jeunes à s’attaquer aux problèmes essentiels de leur quotidien et à conduire une démarche de changement en apportant des solutions innovantes.

3- Impact durable

Un projet éducatif doit avoir un impact durable dans l’école permettant au personnel enseignant et de direction de s’approprier pleinement le projet, de l’intégrer dans le projet éducatif global et de l’améliorer constamment.

4- Créativité

Un projet éducatif doit renforcer la créativité des élèves, les faire penser différemment, révéler leurs talents et aider chacun d’eux à tirer le meilleur d’eux-mêmes.

5 – Le rôle pivot de l’enseignant

Les projets doivent être conçus du point de vue de l’enseignant plutôt que de l’utiliser comme simple exécutant ou facilitateur de projets qui n’ont été conçus ni avec lui ni pour lui. Les enseignants doivent être formés et directement impliqués dans le suivi et l’évaluation du projet.

6- Activation des connaissances

Un projet éducatif ne concerne pas tant la quantité de connaissances qu’il traite mais les opportunités offertes aux élèves d’activer leurs connaissances dans des situations réelles.

7- Changements de comportement

Un projet pédagogique est un outil de transformation permettant des changements de comportement sur un certain nombre de problématiques. Les élèves, de manière individuelle et collective, doivent être mis en situation d’analyser un problème, concevoir des solutions, agir de manière concrète et évaluer leurs actions.

8. Implication des familles

Un projet éducatif doit être inclusif et prendre en compte plusieurs espaces d’apprentissage, renforçant ainsi la participation de la famille au processus d’apprentissage. La dimension intergénérationnelle des apprentissages est essentielle à la cohésion sociale et familiale.

9. Impact sur l’environnement

Un projet éducatif doit avoir un impact transformateur, multiplicateur et durable sur l’environnement environnant, impliquant les acteurs associatifs locaux dans une expérience d’apprentissage partagée.

10. Reconnaissance des compétences

Un projet éducatif doit intégrer un dispositif informel de reconnaissance des compétences des apprenants au moyen de badges numériques.

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